Le statut littéraire de Howard Phillips Lovecraft (1890-1937) n’a cessé d’évoluer, passant de celui de journaliste amateur et de pulp writer à celui d’écrivain canonique, ce qu’illustre la publication récente de son œuvre dans la prestigieuse collection Library of America. Sa fiction comporte une veine onirico-poétique inspirée de Lord Dunsany et qui culmine avec le cycle de Kadath, des contes macabres inspirés de Poe et situés en Nouvelle Angleterre, enfin des récits plus étoffés (“The Call of Cthulhu”, “The Dunwich Horror”, “At the Mountains of Madness”, “The Shadow over Innsmouth”, “The Shadow out of Time”, etc…) qui développent une mythologie originale (parfois intitulée « mythe de Cthulhu ») mais aussi une cosmogonie. La place de l’homme dans l’univers est redéfinie et relativisée dans le cadre d’un « régionalisme cosmique ».
L’œuvre de Lovecraft oscille entre littérature mainstream et culture populaire, mais emprunte aussi à divers genres (fantasy, fantastique, horreur, SF), ce qui explique aussi sa popularité actuelle. L’écrivain est devenu l’une des icônes de la culture contemporaine. Son œuvre suscite depuis déjà quelques décennies de nombreuses réécritures littéraires sérieuses ou parodiques), mais inspire aussi des musiciens (Heavy Metal, Electro). Les adaptations de toutes sortes ne manquent pas, qu’il s’agisse du cinéma (Roger Corman, Stuart Gordon, John Carpenter, jusqu’au projet, abandonné pour l’instant, d’adaptation de « At the Mountains of Madness » par Guillermo del Toro), de la bande dessinée (Alberto Breccia, Horacio Lalia, Richard Corben, ou Alan Moore notamment) ou de formes plus éloignées comme les jeux vidéos ou les jeux de rôles (“Alone in the Dark”, “Prisoner of Ice, Nécronomicon”, et le jeu de rôle célèbre “The Call of Cthulhu” qui a contribué dans les années 1990 au regain de popularité de l’œuvre). Ont fleuri aussi nombre d’ouvrages illustrés (en France Philippe Druillet, Jean-Michel Nicollet, Nicolas Fructus, François Baranger etc.) et de romans graphiques (Richard Corben, Alberto Breccia, Alan Moore, etc.).
Des exégèses récentes ont révélé l’impact de l’imaginaire lovecraftien sur le discours scientifique et la philosophie (cf les ouvrages de Graham Harman). Les nouvelles traductions en France (David Camus, François Bon etc.) ont permis de redécouvrir l’œuvre et d’en faire mieux ressortir la richesse et la complexité.
Selon Michel Houellebecq, grand admirateur de l’écrivain auquel il a consacré un essai : « Il est assez curieux que parmi les nombreux disciples de Lovecraft aucun n’ait été frappé par ce simple fait : l’évolution du monde moderne a rendu encore plus présentes, encore plus vivantes les phobies lovecraftiennes ». Il y aurait ainsi une actualité de l’œuvre, voire une modernité paradoxale chez un écrivain qui n’a cessé de proclamer son « horreur de la modernité » (China Miéville).
L’image joue un rôle dynamique dans cette redécouverte de Lovecraft, du cinéma aux jeux vidéo, offrant des perspectives novatrices aux générations actuelles dans un contexte de résurgence du gothique, de l’horreur, du fantastique et de la fantasy.
Si la vie de l’auteur est maintenant bien connue grâce, en particulier, à la monumentale biographie de ST Joshi (récemment traduite en français), l’un des grands exégètes de l’œuvre, si la fiction lovecraftienne a déjà fait l’objet de très nombreux travaux critiques, seul un film documentaire, déjà ancien (Alain Trividic, Patrick Mario Bernard, 1998) lui a été consacré en France. Ce film adopte plutôt une approche biographique et même s’il aborde certaines grandes thématiques, ne prend jamais en compte la dimension intermédiale de l’œuvre et le statut iconique de l’écrivain devenu aussi personnage de fiction.